Samedi 2 mai : Départ de l'équipage PEC de Jacaré au Brésil vers les Açores, pour un mois de traversée.
Ci dessous, un article de France 3 Occitanie (29/04) et les derniers billets de Sandrine.
Samedi 16 mai 2020 (#58)
Ci dessous, un article de France 3 Occitanie (29/04) et les derniers billets de Sandrine.
France 3 Occitanie : "Confinement : du Brésil à Sète, une famille traverse l’Atlantique en voilier"
Samedi 16 mai 2020 (#58)
Aux tendeurs sur l'Atlantique
Bonne nouvelle, on n'a pas choppé le COVID-19 au Brésil ! Mauvaise
nouvelle, notre pilote (1) nous a lâchés au milieu de l'Atlantique. Le
quatrième
équipier a rendu son tablier cette semaine. Terminée la croisière
s'amuse. Ciao
les Tollemer et Planète en Commun. Raymond s'est barré un beau matin,
sans
pitié, ni préavis. Nous laissant imaginer la suite sans lui. Dans une
ambiance déjà chaude après un Pot au noir (2) retord, ça a jeté un
froid. Qui allait bien pouvoir barrer le voilier sur les près de 2000
milles
restants à parcourir ? Avec Jean-Luc, on s'est regardé en se disant que
ça ne
pouvait pas être Gabriel. Nous ? Eventuellement, en cas de force
majeure. Et
comme personne n'est irremplaçable, on a rapidement trouvé deux tendeurs
qui
trainaient par là et qui pouvaient faire l'affaire. Le Luna Blu, pas
bêcheur, a
fait le reste. Et nous voilà depuis 850 milles sur un bateau qui avance
tout droit à 6 noeuds de moyenne, barre bloquée par deux
tendeurs (3). Pas classe mais efficace. Raymond dont les tarifs sont
plus élévés
que notre couple de tendeurs n'aurait pas fait mieux.
Bon, on n'a pas toujours fait nos malins.Et sans doute qu'à l'heure qu'il
est, on rogne notre quignon de pain blanc. On a même mis plusieurs jours à s'en
remettre. Déjà avant que Raymond ne claque la porte, il avait fallu se taper les
caprices du Pot. Une épreuve de 72h dans la moiteur lourde des tropiques. Seuls
sous un ciel immense, chargé d'un cocktail détonnant de nuages, de pluies et
d'orages et le ronron du moteur sur une mer d'huile jonchée de sargasses (4) qui
rend nerveux notre capitaine. Un tunnel sur l'océan dont on pense être sorti
mais qui en fait n'en finit pas de se terminer. Un monstre tout gris qui barre
notre route, rend folle parfois la mer, électrifie l'atmosphère et fatigue nos
nerfs. Dans ce désordre dont la planète n'a pas le monopole, le passage de
l'envers à l'endroit n'a pas changé grand chose. L'Equateur et le Pot semés, il
ne restait plus qu'à prendre le train des alizés de Nord Est (5). En vrai, on
avait encore un pied sur le quai qu'il était déjà parti, à toute allure. Un TGV
pressé de se débarasser de ses passagers, ni confort, ni commercial. Un train
dans lequel on pourrait presque regretter d'être montés, mais enfin bon,on avait
pas d'autre choix. Adieu le passeur de rêves (6), la Croix du Sud sur fond de
ciel pur, les compagnies de gentils dauphins et les lectures au coucher du
soleil. La nuit, je dors avec des bouchons en plastique dans les oreilles pour
ne plus entendre le Luna Blu se faire maltraiter par les vagues. Il me reste le
roulis. Ca suffit amplement à mon sommeil. Et ça n'est pas fini. Quand ces
cruels alyzés nous auront lâchés, on pourra
congédier nos tendeurs. Avec un vent sur l'arrière, ça ne marche
plus.
Faudra se résoudre à barrer sur les 700 milles restants avant d'arriver aux
Açores. Histoire d'inscrire définitivemnt cette transatlantique dans nos
annales.
Nous sommes samedi 16 mai 2020 et il est 21h45 sur l'Atlantique Nord.
Tout va bien à bord du Luna Blu qui poursuit sa route aux tendeurs, en
direction de l'ile de Horta, Archipel des Açores.
(1) Le pilote automatique est un instrument indispensable en navigation en
haute mer, de surcroit en équipage restreint. Le moteur de notre pilote,
controlé à Ushuaia, s'est arrêté subitement et nous ne sommes pas arrivés à ce
jour à le remettre en marche. Nous avions un pilote de rechange mais nous ne
sommes pas non plus parvenus à le mettre en route. Nous avons donc recherché une
solution pour ne pas avoir à barrer sur une trop longue distance, ce qui à deux,
aurait été difficile.
(2) Le Pot au noir est une Zone de Convergence Inter Tropicale (ZCIT)
située aux alentours de l'Equateur où se confrontent les vents des deux
hémisphères. Elle se caractérise par une forte instabilité météorologique, des
grains orageux puissants entrecoupés de zones de calmes, et ce parfois sur
plusieurs centaines de miles. Le Pot au noir a été redouté par les navigateurs
d'hier et est toujours craint par ceux d'aujourd'hui car on peut y rester un
long moment encalminé.
(3) Un voilier bien dessiné et qui remonte bien au près (vers le vent) peut
tenir cette allure, barre bloquée si ses voiles sont réglées en
conséquence. Le Luna Blu a même pu être réglé jusqu'au vent de travers. En
revanche, cette technique qui nécessite un réglage fin en permanence, ne
fonctionne pas avec une allure portante (vent arrière).
(4) Les sargasses à l'origine se trouvaient dans la mer éponyme située au
nord des Antilles. Désormais invasives, on les observe maintenant sur toute la
ceinture tropicale de l'Atlantique nord. Elles se déplacent à la surface de
l'eau par plaques dans lesquelles s'emprisonnent des déchets.
(5) Les alizés de Nord Est sont un des quatre systèmes météo rencontrés sur
la traversée de l'Atlantique dans le sens Sud/Nord. Les trois autres sont : les
alizés de Sud Est dans l'hémisphère Sud, le Pot au noir, et le circuit
dépressionaire de l'Atlantique Nord en arrivant aux Açores.
(6) Lire le billet #57.
(7) Les alizés de Nord Est ont été forts sur le passage du Luna Blu, vingt
nœuds de moyenne avec des pointes à vingt cinq et une mer agitée à forte
(jusqu'à trois mètres de vagues). Si notre couple de tendeurs nous a autorisés à
dormir, le bruit du voilier assailli par les vagues a été particulièrement
prégnant sur cette navigation.
Vendredi 1er mai 2020 (#56) : 28 jours sans voir la terre (1)
La planète n'est plus ce
qu'elle était. Mais ça, on commence à s'y résoudre douloureusement. Mardi
dernier, assise à l'arrière du taxi de Bernado avec Françoise (2), le masque
jusqu'aux oreilles, je me suis dit que pousser mon caddie au Carrefour de Joaò
Pessoa (3) allait peut être me demander plus de vaillance que de retraverser
l'Atlantique avec Gabriel et Jean-Luc. Heureusement, Carrefour avait tout prévu
pour faire chuter mon niveau de stress. Après avoir vidé un flacon de gel
hydroalcoolique et pris ma température, j'ai été autorisée à acheter du fromage
en boite et de la farine enrichie en vitamines en évitant soigneusement cette
fois-ci les produits OGM. Chouette ! Un vrai challenge qui a fait diversion. Du
coup j'ai oublié de regarder si le Brésil avait aussi reçu sa livraison de
masques en supermarché. Après il a fallu décontaminer tout ça et le soir à 18h
j'étais encore en train de caler mes mangues et mes ananas pour qu'ils ne volent
pas dans le cockpit.
Autant dire que j'étais
contente que cette nouvelle journée amarrée à Jacaré (4) s'achève car chaque
jour passé me rapproche un peu plus du départ. Aujourd'hui Nicolas, le patron de
la marina a apporté de l'eau à notre moulin en nous disant que nous partions au
bon moment (5). Bon pour nous, mauvais pour d'autres. Et ma mémoire m'a
subitement rappelé les rires des enfants occupés à pécher au bout du ponton et
cette mariée des tropiques photographiée samedi sous la pluie, dans les
dernières lumières du soleil. Je ne savais plus si leurs visages que j'imaginais
rayonnants. Ca me rassuraient ou m'inquiétaient. Les deux sans
doute.
"Le vent se lève. Il est
temps de vivre." Paul Valéry ne croyait pas si bien dire. Loin des chagrins des
hommes, 28 jours sans voir la terre nous attendent. Une grande respiration dans
le tumulte planétaire avant de l'affronter à notre tour. Un espace salutaire qui
me rendra je le sais, la sensation de vivre ma vie, telle que je l'ai choisie,
avec ses joies et ses peines. 28 jours lâchés sur l'Atlantique Nord. A observer
les couleurs des nuages et les rides de la mer. A chevaucher l'océan en tentant
d'éviter ses ruades. A compter les étoiles et à écouter le souffle du vent. 3000
milles (6) d'Odyssée supplémentaire en tête à tête avec la nature et le temps de
mesurer que l'on passe d'un continent à un autre. Une occasion aussi de se
sentir plus humain que jamais. Libres mais terriblement vulnérables autant qu'on
peut l'être quand on est vivant. Un appareillage de plus à notre actif,
forcément teinté d'un peu de nostalgie. Et la furieuse envie, en dépit de
l'aventure qui touche volontairement à sa fin, qu'il soit suivi de beaucoup
d'autres.
Nous sommes vendredi 1er
mai 2020 et il est 18h04. Tout va bien à bord du Luna Blu qui appareillera
demain pour l'archipel des Açores.
(1) Dans Cargo de nuit, Axel Bauer passe "35 jours sans voir
la terre".
(2) A Jacaré, nous avons
retrouvé l'équipage suisse du voilier Suditude, Françoise et Jean-Claude,
rencontré en janvier dernier à Ushuaïa. Nous avons partagé, à distance, ces
derniers jours passés au Brésil. Merci à eux de leur très agréable
compagnie.
(3) Joao Pessoa est la
ville la plus proche de Jacaré. Compte tenu de la situation, nous n'avons vu que
le Carrefour et les services de l'immigration pour faire nos papiers de sortie
du territoire.
(4) Un grand merci à
Nicolas et Francis, les patrons de la marina de Jacaré et à leur équipe. Le
service a été parfait et fait d'ailleurs de cette marina, une étape
particulièrement recommandée aux navigateurs.
(5) Malheureusement,
comme on s'y attendait, l'épidémie s'envole actuellement au Brésil. On ne peut
que regretter le positionnement du président et être terriblement inquiet pour
les populations les plus démunies.
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